La rupture une opportunité de se libérer

Illustration rupture une opportunité de se libérer
Cet article montre comment les ruptures de vie peuvent donner la parole à une partie de nous que nous aurions bâillonnée depuis trop longtemps et qui nous ferait sombrer. Ces ruptures, aussi effrayantes soient-elles, peuvent représenter des opportunités de nous libérer de mécanismes archaïques souffrants et inadaptés. Mon propos sera illustré par le parcours thérapeutique de Gabriella, victime d’une rupture brutale provoquée par un burn-out. La rupture va l’amener à la reconnaissance de cette part inavouée qui fera d’elle un être entier et différencié

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Table des matières

La rupture !

La rupture ! La rupture représente pour moi un moment « privilégié » dans nos existences, malgré la peur et la souffrance qu’elle génère. Elle ouvre un espace de questionnement sur notre manière d’être au monde. Les uns arriveront seuls à surmonter cette chute d’autres auront recours à nos cabinets.

S’il y a certes un élément déclenchant,  la rupture survient lors d’une répétition de trop d’un mécanisme ultra connu, conservateur, qui cette fois va faire en sorte que le fond s’écroule et empêche une quelconque figure d’émerger. Nous coulons. 

Et si nous faisions l’hypothèse que las d’être pris dans nos engrenages, une part de nous provoquait la rupture ?  Une part que nous n’aurions pas laissée parler et qui un jour dirait : « ca suffit je veux m’exprimer et pour que tu m’entendes je vais te faire chuter. »  

Pour éclairer mon propos je vais vous parler de Gabriella 32 ans, d’origine tchèque. Il y a 2 ans elle vient me voir alors qu’elle est en burn out. Elle ne travaille plus, sort de chez elle avec beaucoup de difficultés, dort beaucoup. Elle est épuisée physiquement et psychiquement et elle est très seule. Elle vit en France mais ne parle pas français, elle a très peu d’amis qu’elle ne voit d’ailleurs plus et une famille qu’elle dit très soutenante qui vit en République Tchèque. Elle n’accepte pas ce qui lui arrive. Elle se croit forte et il lui semble impossible qu’une dépression prenne possession d’elle sans qu’elle ne puisse exercer aucun contrôle dessus. De plus, depuis l’âge de 14 ans elle souffre d’hyperphagie. Deuxième effet de prise de possession de son corps par un monstre indomptable.

Lorsqu’elle décide de venir me voir sur conseil de son médecin traitant, elle se dit au fond du gouffre. Tout ce qu’elle croyait être n’est plus, ne fonctionne plus. Le corps, l’esprit l’ont lâchée. Elle pense à mourir mais cela lui demanderait trop d’énergie, énergie qu’elle n’a plus.

Pour Gabriella, la ligne de crête n’est plus, elle est tombée. Il y a eu rupture. Cette rupture confronte Gabriella à ses limites. Pour la première fois de sa vie elle est incapable de faire quoi que ce soit ou même d’avoir une pensée logique. Elle est allée au bout d’un fonctionnement toxique qui la cloue dans un espace vide.

L’hyperphagie : une révolte silencieuse

Je demande à Gabriella de me raconter comment « ça » fait la rupture, la chute, la non envie ? Comment c’est dans son corps si fatigué ? Je suis spectateur de cette chute dans un puits noir sans fond. J’essaie de l’accompagner dans cet espace effroyable, elle me laisse être un témoin mais pas un soutien. Elle me dit que la journée elle continue à faire des listes de ce qu’elle a à faire pour s’empêcher de sombrer. C’est uniquement au cours de nos séances où elle peut se laisser aller à regarder d’un  peu plus près l’horreur, pour elle, d’être sans défense, fragile, à nu. Lors d’une séance je lui demande de dessiner comment elle se sent aujourd’hui et comment elle aimerait se sentir. Elle dessine alors un soleil et une toute petite bougie. Elle était la bougie mais voulait être le soleil ! Elle se rend compte que la route vers le soleil n’est pas ou plus possible, en tous cas pas comme elle le faisait jusqu’à présent…

La toute puissance – L’impuissance – La recherche de perfection

Frustration… désillusion de rêves de grandeur… mais aussi, et je l’accompagne en ce sens, possibilité de découvrir sa fragilité. Une facette d’elle qu’elle ne veut pas voir, qu’elle n’accepte pas, qu’elle n’aime pas mais qui ne se laisse plus bâillonnée!

Sa représentation d’elle (fonction personnalité) vacille : comment peut-elle être si fragile ? 

Cette rupture rompt l’image qu’elle a d’elle-même. Elle se rend compte qu’elle a besoin d’une aide extérieure car seule elle n’y arrive plus. Mais avoir besoin de l’autre (de moi) est insupportable car cela la force à renoncer à sa toute puissance. La seule force qu’il lui reste réside dans son rituel d’hyperphagie qu’elle applique consciencieusement. Elle se goinfre le soir, arrive à trouver l’accalmie que lui procure la nourriture. L‘espace d’un instant elle se sent mieux puis très vite elle doit aller se coucher incapable de supporter la haine, le dégout d’elle-même. Et se relève le matin dans le vide. Un vide pas encore fertile…

Les règles

Mais Gabriella s’accroche petit à petit à moi. Elle s’accroche aux jours où nous devons nous voir. Cela lui fait un but, une présence dans la journée. Et curieusement certaines séances sont plutôt gaies.  J’utilise l’humour pour remettre en question les règles que Gabriella s’impose. Gabriella arrive à se moquer d’elle-même et à trouver ridicules les règles si strictes qui régissent sa vie. Je lui demande de lister ces interdits, ces croyances (ex le sucre est mauvais, pour que le sport soit efficace il faut souffrir, pour réussir dans la vie il faut travailler très dur, être fragile est honteux il faut être forte…). Je lui demande qui impose ces règles ? C’est une épée à l’intérieur d’elle qui a le pouvoir. Et je demande qui parle comme cette épée ? Elle fait le rapprochement avec sa mère. L’épée est sa mère, sa représentation. Ecouter l’épée, c’est faire plaisir à sa mère au point de nier sa propre existence.

Travail d’awareness – Sensibilisation du corps

Nous allons donc créer ensemble de nouvelles lois en essayant de se baser sur ce que Gabriella sent bon pour elle en développant petit à petit son awareness (en parallèle de la thérapie elle a commencé des cours de yoga et de méditation, ce qui  l’aide énormément).

 Et comme elle introjecte facilement elle accepte ces nouvelles règles plus douces pour elle.

J’accepte également de ne plus attaquer les siennes comme son hyperphagie, ce symptôme reste son unique pouvoir! Oui j’ai fait l’erreur d’oser attaquer son symptôme … Je reconnais mon erreur. Je suis faillible moi aussi. Elle arrive à le concevoir et se réjouie d’avoir osé me dire non. Et je la félicite pour cela. Je la soutiens quand elle me confronte.

Cela participe à renforcer le lien. Elle peut voir que je l’accepte telle qu’elle est même si nous ne sommes pas d’accord. Je continue à être là pour elle.

Et puis un jour, Gabriella est là devant un rayon de chocolat et …Elle sent son corps lui dire qu’il ne veut plus ingurgiter cette nourriture. Elle n’achète pas ce soir-là ni tous les soirs suivants les produits de son orgie quotidienne. Nous en pleurons de joie ensemble et je suis encore émue en l’écrivant.

C’est encore une rupture avec le connu, elle sent qu’elle peut changer un fonctionnement qu’elle croyait immuable. Elle peut décider de se libérer en choisissant de mettre à l’intérieur d’elle, non plus ce qu’elle pensait bon mais ce qu’elle sent bon pour elle ! Changement de paradigme.

La désillusion du lien mère-fille

Accepter de se libérer de la nourriture, de ses règles rigides,  c’est commencer aussi à questionner ses liens toxiques et commencer à regarder d’un peu plus près sa relation avec sa mère.  Elle avance lentement sur le chemin d’une rupture encore plus douloureuse : la désillusion sur le lien mère-fille.  

Elle reconnait la maltraitance qu’elle se fait subir pour satisfaire son besoin de reconnaissance, d’amour  auprès de sa mère. Elle se rend compte qu’elle n’obtiendra jamais de sa mère la reconnaissance de qui elle est vraiment . Cela la rend extrêmement triste. La dépression revient. Elle s’inquiète, elle est déçue car elle pensait en être débarrassée. Je la rassure en lui faisant  remarquer comme l’intensité est moindre, comme elle réagit de manière très différente et elle me dit qu’effectivement elle se sent beaucoup plus forte, plus construite à l’intérieur même si elle a très mal.  Elle est désormais capable de supporter cette tristesse.

Enfin presque…car elle résiste, elle continue à espérer qu’en étant le soleil, sa mère verra enfin qui elle est.  

Elle ne cesse de me parler  de projets professionnels fabuleux qui n’aboutissent jamais. Elle oublie régulièrement les nouvelles règles qu’elle avait acceptées (aller au yoga, prendre 2 jours de congé par semaine, rencontrer des amis, prendre du temps pour soi) et me parle de déconnection entre sa tête et son corps.

Il y a rupture de contact entre l’énergie mobilisée, la montée de l’excitation et l’action. Elle s’épuise à vouloir briller mais ne peut pas passer à l’action car elle ne se décide toujours pas à se nourrir ailleurs.

Cette dernière rupture est-elle vraiment possible ?  Abandonner l’espoir fou d’une bonne mère nourrissante pour accepter la possibilité de s’alimenter ailleurs dans du bon? C’est en tout cas le chemin que j’aimerais qu’elle suive mais il doit se faire non plus dans la rupture mais au contraire dans une lente construction de soi au contact de l’autre.

Gabriella reconnait aujourd’hui que cette dépression lui a été extrêmement bénéfique. Qu’elle ne pouvait plus continuer comme elle l’avait toujours fait. Elle en est heureuse mais le chemin est encore long pour accepter sa fragilité, son individuation et le soutient de l’environnement.

Conclusion

Le processus du changement est souvent laborieux mais grâce à ces ruptures, des opportunités se créent pour se libérer, par strates progressives,  d’un comportement archaïque souffrant et inadapté. La première rupture vécue par Gabriella, le burn out l’a amené au final à la création d’ajustements créateurs indispensables pour se libérer de son hyperphagie.

La rupture finale, qui serait  de se séparer de la toxicité du lien maternel, ne sera ni abrupte, ni radicale comme l’a été le burn out mais au contraire un choix abouti et conscient : Comment je décide  de vivre au mieux,  avec ou sans  mes monstres ?